L’esprit nihiliste de la Cour des Comptes

Ajout de dernière minute : le premier président de la Cour des Comptes, Didier Migaud a présenté son rapport devant l’Assemblée nationale le 6 février puis devant le Sénat le 7. Sa présentation, identique devant les deux chambres, comporte un paragraphe spécial AFPA :

“L’Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes, l’AFPA, fait l’objet de critiques du même ordre, elle qui a accumulé, entre 2013 et 2017, près de 508 millions d’euros de pertes d’exploitation. Les pouvoirs publics gagneraient, dans cette situation, soit à accompagner une réorganisation de grande ampleur de l’Agence, soit à envisager la reprise de ses activités par d’autres entités.”

voir : sénat assemblée nationale

L’esprit nihiliste de la Cour des Comptes

Après janvier réservé aux dons, civilités et hommages, le début février est consacré aux règlements de compte. Le rapport de la Cour des Comptes est au rendez-vous de 2019.

La situation de l’AFPA y est analysée dans le tome réservé au suivi des recommandations précédentes, pour l’AFPA celles contenues dans le rapport de fin 2013, paru en janvier 2014.

L’AFPA n’est pas la bonne élève ; elle n’a pas suivi les recommandations et la Cour est obligée de la classer dans la catégorie « rouge alerte » des organismes défaillants [1].

Quelques lauriers

Le rapport commence en tressant quelques lauriers à l’AFPA : réussite aux titres professionnels, insertion professionnelle de stagiaires et ce dans des conditions difficiles, les stagiaires présentant majoritairement une faible qualification et donc plus éloignés de l’emploi, mise en place de parcours de formation personnalisés, programme HOPE ) .

 

La Cour reconnait également que l’AFPA joue un rôle important dans la formation des moins qualifiés, mais elle n’analyse pas l’ensemble des missions de services de l’EPIC AFPA, leurs résultats et leurs efficacités. L’utilité sociale de l’AFPA est d’emblée écartée. La Cour considère l’AFPA comme une entreprise privée. Dans EPIC, il y a certes « industriel et commercial » mais en premier lieu Etablissement public.

Les raisons de la « faillite »

La Cour ne se centre que sur les raisons de la « faillite » de l’AFPA.

Les dépenses n’auraient pas été suffisamment maitrisées alors que les Conseils Régionaux ont diminué les commandes adressées à l’AFPA.

L’AFPA aurait des coûts de structure trop élevés. Si la marge des coûts directs de l’AFPA est comparable à celle des entreprises privées, les organismes privés de formation présentent des coûts de structure moins élevés, en raison de la plus faible proportion de cadres (14%) qu’à l’AFPA (33%).

La très courageuse Cour qui note que la part de marché des GRETA avait augmenté entre 2010 et 2016 passe sous silence la concurrence que ces GRETA, organismes publics, font à l’AFPA. Il faudrait ajouter celle que des organismes de formation adossés à des branches professionnelles font à l’AFPA.

Ainsi, l’AFPA souffre d’une concurrence déloyale. L’Etat a créé un EPIC dont la 1ère mission est selon le 1° de l’article L5315-1 du code du travail de participer « à la formation et à la qualification des personnes les plus éloignées de l’emploi » et de contribuer « à leur insertion sociale et professionnelle » et l’Etat (Budget et Travail) laisse l’Etat (Education Nationale) lui tailler des croupières.

Le marché de la formation est tout sauf concurrentiel, au sens libre et non faussé. Les GRETA sont donc financés par les Conseils Régionaux, les Organismes de Formation soutenus par leurs branches…

La Cour des Comptes critique aussi la part importante de CDI à l’AFPA. (81% contre une moyenne de 68%). Là aussi aucune comparaison n’est faite avec les GRETA. Et c’est une Cour publique payée avec des ressources publiques qui prescrit la précarisation du personnel d’un établissement public. Au moment où l’Etat sous la pression des gilets jaunes commence à se soucier de l’usage et de l’abus des contrats courts !

Pour la Cour, les charges immobilières de l’AFPA sont trop élevées. « La présence de l’offre de formation de l’Afpa sur tout le territoire métropolitain ainsi que les services associés d’hébergement et de restauration contribuent aussi à alourdir les dépenses… » Nul mot pour la mission de service public de l’AFPA définie par le 4° de l’article L5315-1 : de contribuer « à l’égal accès, sur l’ensemble du territoire, aux services publics de l’emploi et de la formation professionnelle. »

La Cour juge que la gestion de la direction de l’AFPA révèle une « incapacité à s’adapter ».

Les prévisions de CA ont été systématiquement supérieures aux réalisations…la cour s’interroge sur leur sincérité. Si des efforts de gestion sur la masse salariale ont été réels, ils ont été remis en cause par les modalités de réponse de l’AFPA au plan « 500 000 ».

Pas un mot de la Cour sur les politiques de commande publique des Conseils Régionaux ! Pas un mot sur le démantèlement des services d’orientation de l’AFPA en 2010 !

Les défaillances de l’organisation de l’AFPA n’auraient pas été corrigées. La Cour s’en prend à la direction des affaires financières, à la direction de l’audit, à la DRH qui s’est limitée à gérer au fil de l’eau les départs volontaires et à négocier les ruptures conventionnelles individuelles, et à la direction commerciale qui n’est pas organisée selon les standards en vigueur dans les entreprises privées…mais l’AFPA est un EPIC !

Les commentaires de la cour omettent de noter le fait que les difficultés de l’AFPA sont aussi fortement attribuables, après 2010, à un premier démantèlement de l’Afpa par le transfert des services d’orientation à Pôle Emploi, transfert décidé par l’ETAT qui, pour l’occasion, a fait voter au parlement une loi d’exception !

L’Etat aurait pu et dû imposer à l’AFPA des mesures de restructuration…La Cour semble oublier ses propres écrits de 2013 : que l’Etat siégeait au conseil d’orientation de l’Association AFPA, tout comme les Régions, que le CIRI est intervenu, et qu’un protocole de conciliation avec un suivi exigeant de la trésorerie a été signé entre l’AFPA, l’Etat et les banques en mai 2013 et homologué par le TGI de Bobigny le 4 juin 2013.

Le plus ubuesque est son reproche que l’AFPA fait supporter à l’Etat le risque du coût de remise en état (il faudrait écrire de « remise à l’Etat[2] ») des 116 biens immobiliers transférés au moment de la création de l’EPIC…Ces biens n’appartenaient pas à l’AFPA…mais à l’Etat. Et l’AFPA les a entretenus pendant plusieurs années sans recevoir pour autant de compensations financières…L’Etat les a donc transférés à son EPIC. Ces biens n’ont JAMAIS quitté le domaine public et L’Etat aurait dû s’en préoccuper bien avant.

Et quand la Cour a-t-elle alerté sur les risques courus par l’AFPA en 2004 du fait du transfert de ses subventions aux régions ?

Une restructuration impérative

Pour finir, sans surprise, la Cour conditionne l’avenir de l’AFPA à une restructuration de grande ampleur.

Elle ne pense pas que le salut puisse venir de l’augmentation des produits, « Aussi l’activité de l’Afpa devrait-elle encore décroître à court terme pour s’établir à un point bas en matière de recettes à environ 600 M€ en 2020… » La Cour ne dit pas un mot de la baisse de chiffre d’affaires attendu, en conséquence de la disparition du CIF, inscrite dans la dernière loi de réforme de la formation professionnelle …conduite par l’Etat.

Pour la Cour, le salut ne peut venir que de la réduction drastique des dépenses.

Les mesures recommandées par la cour reprennent celles du plan de réorganisation de la direction (ou est-ce l’inverse ?). « L’AFPA doit adapter son patrimoine à son niveau d’activité et par conséquent fermer les sites de formation qui sont déficitaires ou peu rentables. » L’AFPA doit réduire ses effectifs. La cour précise que le plan « induira inévitablement des procédures de licenciement dont les coûts devront être maîtrisés ».

Que faut-il retenir de ce rapport ?

La Cour ne s’intéresse aucunement aux raisons de la chute de l’activité de l’AFPA. A fortiori, la Cour ne fait aucune recommandation de nature à enrayer cette chute. Elle l’accepte comme une fatalité. Les missions de service public sont oubliées. La Cour ne raisonne qu’à partir du seul domaine concurrentiel. En 2013, la Cour écrivait : « la décentralisation de la formation professionnelle, puis l’ouverture de l’AFPA à la concurrence depuis 2009, la positionnent désormais comme un acteur parmi d’autres sur le marché de la formation professionnelle. »[3]. Il apparaît que la Cour n’a pas adapté son point de vue à la transformation de l’AFPA en EPIC.

Ainsi peut-elle écrire de façon sibylline que l’Afpa doit se concentrer « sur son coeur de métier, c’est-à-dire les actifs en transition professionnelle et ceux les plus éloignés de l’emploi, afin de rétablir sa part de marché dans ces secteurs ». Ce sans préconiser que les dotations de l’Etat augmentent en compensation des missions de service public de l’AFPA, en application effective de l’article L5315-1 du code du travail.

Ainsi peut-elle déplorer l’absence de COP[4], contrat qu’elle dit pourtant obligatoire, sans saisir l’occasion de demander à l’Etat le financement de toutes les missions de service public, en proportion de l’étendue des besoins des personnes les plus éloignées de l’emploi. Non pour la Cour, l’AFPA ne devra être jugée que sur ses seuls résultats financiers[5] !

La Cour relève le poids des cadres (33%) et valide le plan de licenciement qui va encore faire augmenter ce taux. Cherchez l’erreur !

Le personnel de l’AFPA n’existe que sous forme de nombres (à réduire). Ses sacrifices et la détérioration de sa santé physique et mentale (le développement de l’absentéisme par exemple) n’existent pas.

Le dernier mot du rapport de la Cour, dans le texte comme dans l’esprit, est fermeture[6].

Conclusion

Fermer, fermer… lorsque les services publics ont disparu, on se rend alors COMPTE de leur apport à l’économie, et combien leurs fermetures coûtent aux entreprises et autres usagers…

Ce n’est pas dans cet esprit nihiliste que des négociations sur le plan de réorganisation et ses conséquences entre la direction de l’AFPA et les organisations syndicales représentatives pourraient éventuellement s’engager.

Si l’AFPA n’a pas les ressources lui permettant de remplir ses missions de service public, le plan de réorganisation est voué à l’échec : les mêmes causes produiront les mêmes effets, un appareil de production réduit diminuera le chiffre d’affaires. Le plan de réorganisation doit absolument comprendre une augmentation de la dotation de l’Etat et des Conseils Régionaux.

L’implication du personnel ne se présuppose pas. Elle est la deuxième condition de réussite, comme l’expert de l’IC-CHSCT l’a déjà affirmé.

La direction doit s’engager à ne pas procéder à des départs contraints. Une GPEC négocié améliorant, à partir de départs volontaires, l’organisation du travail et ses conditions, les postes créés et la transformation en emplois permanents d’une partie des 1 200 ETP CDD le permettent.

Si des solutions alternatives au plan de réorganisation et aux fermetures de centre peuvent être dégagées, ce n’est pas en ignorant le personnel, ses idées et la qualité de son travail.

Tout comme la justice fiscale et sociale est une condition nécessaire de la réussite de la transition écologique, transition vitale, la justice sociale à l’AFPA est aussi une question de vie et de mort. SUD demande la réduction du poids des classes 13 à 17 dans les effectifs et les rémunérations, l’équilibrage du nombre de hiérarchiques et des “producteurs”. L’AFPA a besoin de moins de managers, en particulier au siège et dans les DR, et de plus de faiseurs.

En référence à la maîtrise des coûts de licenciements demandée par la Cour et en rapport avec la justice sociale déjà évoquée, SUD demande que la direction de l’AFPA s’engage, dans l’accord de méthode, à ce que les montants des indemnités de départ extralégales des classes 13-17 soient plafonnés, le salaire servant d’assiette à leur calcul ne dépassant pas la moyenne des AIB au 31/12/2017 des classes 12.

Enfin, SUD demande que l’éventuel accord de méthode institue un fonds d’amélioration des conditions de travail à l’AFPA, fonds géré paritairement et dont le budget sera déterminé paritairement, à défaut par un ou plusieurs arbitres désignés par les parties.



[1] Page 6 du Tome 2 intégral des recommandations de la Cour « trois cas illustrent des situations où les observations et les recommandations de la Cour sont largement restées sans suites : la filière du sang en France : un modèle économique fragilisé, une exigence de transformation ;- l’Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA) : une réforme impérative ; – la gestion des ressources humaines de la commune de Bobigny : des années de défaillance.

[2] La Cour elle-même dans son rapport rappelle qu’elle « avait souligné en 2013 que l’Afpa n’avait pas les moyens d’entretenir le patrimoine mis à disposition à l’époque par l’État (souligné par nous). Dans le rapport de préfiguration de l’EPIC, l’IGAS et l’IGF préconisaient un transfert fractionné afin de supprimer les sites inutiles ou requérant de lourds travaux. »

[3] Page 5 du rapport de 2013

[4] « Malgré la mobilisation à la fin de 2017 d’une assistance à maîtrise d’ouvrage pour un coût de 0,6 M€ hors taxes, la signature du contrat d’objectifs et de performance n’était toujours pas intervenue, deux ans après la transformation de l’Afpa en EPIC. Or, ce document qui est obligatoire pour tout opérateur de l’État, devait permettre de définir un modèle économique pérenne, d’arbitrer les conditions d’une restructuration en profondeur de l’établissement public et de déterminer les modalités de versement et de contrôle de la subvention pour charges de service public versée par l’État. » Rapport public annuel 2019 – février 2019 p 320

[5] (État) conditionner toute nouvelle aide à des objectifs précis de résultat financier à atteindre à court et moyen termes et, en cas de non atteinte de ces objectifs, envisager la fermeture de l’établissement. Rapport public annuel 2019 – février 2019 p 326

[6] Voir la note de bas de page précédente…

 

Montreuil, le 11 février 2019

11 février 2019 8:54 Publié par