La négociation collective : Quels pratiques et enjeux syndicaux ?

Le gouvernement, à travers la commission « accords collectifs et travail », réfléchit à une nouvelle contre-réforme du droit du travail à la demande du patronat. L’Union syndicale Solidaires, qui a été auditionnée, a rappelé un certain nombre de positions et de revendications. Cette note synthétique a pour objectif de resituer les enjeux syndicaux autour de la négociation collective, et de mettre en avant les pratiques syndicales que nous défendons.
Le contexte
La négociation collective a eu à travers l’histoire différentes fonctions. Elle s’est d’abord progressivement « renforcée » dans les entreprises, notamment avec la reconnaissance de la section syndicale en 1968 et du droit aux travailleurs à la négociation collective en 1971. Au cours des années suivantes, le rôle de la négociation collective s’est vu modifié au fil des lois et des conceptions qui étaient posées : lois Auroux en 1982 ; ANI visant à « relancer » les accords de branche en 1989 ; la « possibilité » de négocier dans les entreprises dépourvues de Délégué-e Syndical-e en 1995 ; le rôle amoindri de l’état au profit des organisations syndicales et patronales dans les années 2000 ; les règles de représentativité en 2008 ; l’élargissement de la négociation à tous les sujets dans la fonction publique en 2010, etc.

Le renforcement de la négociation collective, c’est-à-dire des droits des travailleurs/ses et la présence syndicale sur les lieux de travail (moyens, heures d’information), s’est transformé sous la pression du patronat en une progressive et lente inversion de la hiérarchie des normes, jusqu’au dévoiement de l’accord d’entreprise en une « recherche de compétitivité », tout cela pour déroger de manière plus défavorable à la loi et casser les acquis collectifs des secteurs professionnels en faisant jouer la « concurrence » et donc le dumping social. C’est suivant cette logique, dont la mise en oeuvre date de plusieurs décennies, que le gouvernement a constitué une « commission des accords collectifs et travail » présidée par l’ancien Directeur Général du Travail.

Si cette commission n’a aucun intérêt dans l’absolu – tant par sa composition majoritairement « pro-patronale » que par ses conclusions prévisibles ou encore parce qu’elle n’est une étape supplémentaire de la logique patronale en terme de négociation collective – l’Union syndicale solidaires a été auditionnée le 29 Juin 2015. Elle en a profité pour rappeler ses positions, ses analyses et ses revendications sur le sujet. Comme il y a de grands risques que patronat et gouvernement s’attaquent encore au Code du travail en prenant un angle très « technique » pour au final aboutir à des considérations politiques, l’Union syndicale Solidaires juge essentiel de continuer à informer, de débattre sur ces questions et de produire une série de propositions en terme de stratégies syndicales : c’est tout le sens de cette note.

Un lexique pour comprendre

Trop souvent, le droit du travail est accaparé par des « spécialistes » au détriment des premier-e-s concerné-e-s : les salarié-e-s, les chômeurs/ses et les organisations syndicales. En aucun cas le débat sur la négociation collective ne doit être l’affaire de spécialistes, réels ou supposés. Le droit est avant tout un outil, une technique utilisée pour régir des rapports entre classes sociales dans le monde du travail. Il est aussi bien l’expression du droit bourgeois et de la défense de la propriété privée des moyens de production que celle des acquis arrachés dans la lutte par la classe ouvrière dans son ensemble. Une vingtaine de thèmes sont définis dans un lexique syndical publiés dans le numéro 83 du 18 mai 2015 des Cahiers d’alter : « Accords collectifs : se réapproprier le droit du travail – lexique syndical ». Il peut être consulté et téléchargé librement à cette adresse : http://www.lescahiersdalter.fr/Acco…

Négocier sur quoi et comment

La loi fixe un certain nombre de champs sur lesquels les négociations doivent avoir lieu au sein de l’entreprise, de la branche ou au niveau national. La question de l’élargissement de ces champs peut se poser. Néanmoins, le premier débat est de s’interroger sur la conception même de la négociation et de son déroulement. Si la NAO (Négociation Annuelle Obligatoire), qui porte principalement sur les salaires, est une étape importante dans de nombreuses entreprises, c’est parce que son orientation pose la question du partage des richesses, en l’occurence entre salaires et profits. Bien qu’aucune obligation d’accord ne soit posée par la loi pour cette négociation, elle est souvent vécue, à juste titre, comme un moment fort dans l’entreprise, car elle permet de donner du sens par une implication des salarié-e-s et une réflexion globale. Il est donc important d’avoir des négociations annuelles obligatoires sur plusieurs sujets. Elargir le champ des sujets et thématiques de négociation ne peut pas se faire au détriment de ce qui existe déjà, et encore moins pour déroger de manière plus défavorable à la loi au niveau de l’entreprise. Au contraire, l’élargissement du champ de négociation doit permettre aux salarié-e-s d’exercer un contrôle renforcé de leurs conditions de travail, de leurs salaires et de l’organisation du travail, et ceci de façon plus favorable que les normes supérieures. La volonté affichée du gouvernement et du patronat que la négociation collective, en raison de « difficultés économiques » plus ou moins avérées, devienne centrale concernant les licenciements, les PSE, les possibles baisses de salaires ou l’augmentation du temps de travail, est une attaque contre son principe même. En effet, vouloir déroger défavorablement à la loi dans les entreprises dans un contexte de « menace » sur les emplois, cela revient à exercer un chantage et à rompre avec la conception de rapport de force et d’intérêts divergents entre classes. L’objectif est d’imposer cette notion très moderne et frelatée d’un « dialogue social » dans lequel les intérêts seraient communs mais où les salarié-e-s sont toujours perdant-e-s au bout du compte. La négociation collective doit être source de progrès social, non de régression ; elle ne doit pas non plus être « détournée » et inféodées aux seuls intérêts du patronat.

Différents niveaux, différentes réflexions

La négociation collective, qui théoriquement relève du monopole syndical, se déroule à plusieurs échelons : l’établissement quand il existe, l’entreprise (voire l’UES), le groupe, la convention collective (départementale ou nationale) et le niveau national et « interprofessionnel ». Les acteurs ne sont pas les mêmes suivant les seuils de représentativité retenus. Les sujets, les enjeux et les obligations patronales sont donc parfois différents. Néanmoins, nous pensons qu’il faut savoir allier la vision spécifique de chaque niveau à une conception plus globale de la négociation collective, tout en plaçant bien sûr au centre l’information et l’intérêt des salarié-e-s.

– Au niveau national et interprofessionnel : le taux de représentativité pour la négociation est faussé, puisqu’il exclut l’ensemble des résultats dans la fonction publique. Pour nous, toutes les organisations, qu’elles soient considérées comme représentatives ou non, doivent avoir le même niveau d’information, pour pouvoir donner leurs avis – nous représentons plusieurs dizaines dizaines de milliers d’adhérent-e-s et plusieurs centaines de milliers de suffrages. Il faut retrouver le sens premier de la négociation collective, qui est de favoriser le progrès social dans le monde du travail, contrairement à tout ce qui été fait dernièrement.

– Au niveau des branches : nous savons pertinemment, tout en étant représentés dans plusieurs d’entre elles, que la négociation ne remplit pas les principaux objectifs qu’on pourrait en attendre : harmonisation par le haut des conditions de travail et des salaires dans les petites ou grandes entreprises pour éviter le dumping social, sans oublier le rôle important de la sous-traitance, qui instaure au sein d’une même entreprise la coexistence de plusieurs conventions collectives aux avantages inégaux. Il y a nécessité d’ouvrir un chantier de réflexion pour un renforcement des branches. Celles-ci doivent être représentatives des évolutions des secteurs et filières et couvrir l’ensemble des salarié-e-s. En même temps, il faut faire respecter le principe de faveur et redonner aux conventions collectives un rôle central, avec par exemple des obligations plus contraignantes quant à la négociation et au contrôle par la DGT – particulièrement sur les contreparties aux aides publiques accordées aux entreprises.

– Au niveau d’un groupe : de nombreuses filiales sont parfois exclues, ainsi que la sous-traitance dans son ensemble. La négociation collective doit permettre, dans la même entité juridique, dans celle rattachée au même groupe comme sur le même lieu de travail en cas de multiplicité d’employeurs, d’avoir les mêmes statuts, salaires, conditions de travail, avec une harmonisation par le haut.

– Au niveau de l’entreprise : la négociation collective dépend avant tout de la présence syndicale. Elle n’est évidemment pas la même au niveau d’une TPE que d’une entreprise de plus de 1000 salarié-e-s. Si la négociation syndicale doit permettre l’expression directe du personnel pour qu’il participe à la gestion de l’entreprise, elle ne doit pas déroger de manière plus défavorable à la loi. La négociation collective dans l’entreprise doit être source d’acquis. Le rôle prépondérant des organisations syndicales et leur monopole ne doivent pas non plus conduire à mener les négociations sans consultation du personnel. Pour autant, la direction de l’entreprise n’a aucune légitimité à organiser un référendum, car elle ne représente pas les salarié-e-s et serait ainsi juge et partie. Les assemblées générales souveraines et la consultation du personnel par les syndicats sont donc une nécessité et s’accompagnent par exemple d’informations via les IRP, d’heures d’information mensuelles par les syndicats données aux salarié-e-s et payées sur le temps de travail, de locaux, ou encore de prises de paroles. Rappelons également que la négociation collective à l’échelon de l’entreprise ne peut exister que si les libertés syndicales sont respectées. Cela suppose la fin de l’arbitraire et de la répression anti-syndicale par le patronat : pour cela, la loi doit être plus protectrice et les moyens de l’inspection du travail renforcés pour l’application de ce qui existe déjà.

– Pour le contrat de travail : la logique est la même. Un accord d’entreprise (ou autre) ne peut y déroger que de manière plus favorable. En aucun cas le contrat de travail ne doit faire l’objet d’une modification défavorable aux salarié-e-s suite à un accord collectif. Nonobstant nos critiques sur le lien de subordination et le caractère de l’exploitation du salariat, le contrat de travail doit protéger au maximum le/la salarié-e, et l’accord collectif l’améliorer ou poser des conditions plus favorables que la loi pour les clauses contenues. Ces points doivent aussi s’accompagner d’une évolution de la jurisprudence sur de nombreux sujets pour lesquels l’Unions syndicale Solidaires a déjà pris position et publié ses analyses.

– A l’échelle européenne : la négociation collective (et ce qu’elle permet à l’occasion de mobilisation de travailleur-ses) est remise en cause de manière générale à la fois par les arrêts de la cour européennes de justice (arrêts Laval, Rüffert, Luxembourg) au nom de la supériorité du droit commercial ou bien par les directives européennes issues du TSCG et en particulier le six pack qui prévoir la “surveillance des déséquilibres macro-économiques” de chaque Etat et qui peuvent avoir des conséquences dès lors qu’un Etat se trouve en difficulté dans la zone euro (dette en particulier). la caricature étant la levée de l’application de conventions collectives en Grèce, allant de pair avec les remises en cause du droit de grève par ailleurs.

La représentativité

La négociation collective est intimement liée à la représentativité. Celle-ci se mesure à plusieurs niveaux : périmètres CE pour l’établissement et/ou l’entreprise, le groupe, résultats des CE ou DP ou TPE pour les conventions collectives ; même chose pour le niveau interprofessionnel en excluant néanmoins la fonction publique. Pour participer à la négociation avec la direction d’entreprise, le seuil requis est de 10%, contre 8% dans les branches ainsi qu’au niveau national interprofessionnel. Pour qu’un accord puisse être valide, à ce jour, il est nécessaire de recueillir la signature d’une ou plusieurs organisations syndicales représentant un total d’au moins 30%, à condition qu’une ou plusieurs autres organisations syndicales représentant au moins 50% ne fassent pas valoir un droit d’opposition. Cette condition est parfois compliquée à évaluer et mettre en oeuvre : dans le cas où un accord peut apporter quelques avancées mais aussi des reculs importants (augmentations de salaires, mais en modifiant la formule de calcul du point ou des coefficients), faire valoir un droit d’opposition, c’est prendre le risque que l’entreprise ou les syndicats signataires expliquent que les avancées n’auront pas lieu à cause de ceux qui ont refusé de signer. D’où la nécessité de remettre au centre des débats la discussion autour des accords majoritaires. De même, puisque la représentativité est calculée soit sur une élection nationale sur sigle syndical pour les TPE (sans droits supplémentaires directs), soit sur les élections CE ou DP (dans le cas où l’effectif est compris entre 11 et 50 salarié-e-s), la question de la campagne électorale est à aborder : certains syndicats deviennent majoritaires non pas pour leurs idées ou leurs pratiques, mais pour une gestion du comité d’entreprise proche du clientélisme. Au final, la seule représentativité ne peut pas être déconnectée de la question de l’adhésion, qui est à remettre au centre de la construction de notre Union.

Les IRP

La négociation collective ne serait pas ce qu’elle est sans les IRP – Instances Représentatives du Personnel. Trop souvent cantonnée à un processus de rencontres et de discussions entre organisations syndicales et patronales, la négociation collective repose avant tout sur la possibilité pour les équipes de disposer d’outils afin de mobiliser le personnel en ayant le maximum d’informations et de contrôle sur la vie économique de l’entreprise. Le gouvernement n’a pas choisi au hasard de commencer par s’attaquer aux IRP. Celles-ci donnent aux équipes syndicales des moyens et assurent un minimum de démocratie sociale.
– S’attaquer au CHSCT est la remise en cause directe de moyens importants de contrôle, d’expertise et de défense des conditions de travail et de la santé du personnel.
– S’attaquer au CE (délais, obligations de consultation périodiques), c’est s’en prendre aux moyens réguliers de contrôle et de débat et donc directement affaiblir la négociation collective, qui n’est pas isolée du travail militant quotidien réalisé dans les instances telles que le CE.
– S’attaquer aux seuils sociaux, c’est diminuer la présence syndicale et vouloir institutionnaliser les instances pour les déconnecter du personnel, du syndicat et de l’efficience de ses prérogatives.
Les IRP, outil essentiel, sont souvent considérées à tort comme déconnectées de la négociation collective ; si nous admettons effectivement qu’elles ne sont pas et ne doivent pas être des instances de négociation et de conclusion d’un accord (hormis pour la participation, par exemple), elles permettent d’accompagner la négociation collective et de la faire vivre. Trop souvent, les entreprises refusent de donner les informations nécessaires ; les IRP peuvent les obtenir.
Ce sont des outils fondamentaux dont il faut renforcer le rôle, à court et moyen-terme, en reposant notamment la question du droit de veto sur les nombreux sujets qui ne font pas l’objet de négociation et sont imposées aux salarié-e-s par les directions (cf. la note IRP Solidaires : http://www.solidaires.org/article50…)

De la formation syndicale aux pratiques syndicales

La négociation collective, comme tous les sujets touchant au droit du travail, ne doit pas être accaparée par des « spécialistes », réels ou auto-proclamés : c’est aux salarié-e-s et à leurs représentant-e-s de décider des négociations et revendications. Pour ce faire, il est indispensable de renforcer la formation syndicale sur la négociation collective : en comprendre les enjeux, savoir ce que dit le droit, discuter et échanger sur les pratiques syndicales, avoir des positions cohérentes, faire vivre l’interprofessionnel, et mutualiser entre les différentes équipes pour faire vivre notre cahier revendicatif.
La spécificité du syndicalisme de transformation sociale que nous portons repose à la fois sur des revendications immédiates, mais aussi plus largement sur un projet de société. Cette conception du syndicalisme, pour être efficace, doit se traduire en actes dans nos pratiques syndicales.
Il est indispensable de les relier avec le droit effectif à la formation syndicale : une formation syndicale choisie librement par les salarié-e-s et assurée par des organismes syndicaux comme le CEFI par Solidaires, et non « obligatoire », pour former des « négociateurs », comme le patronat ou certains membres de la commission Combrexelle semblent le souhaiter. Organisation d’assemblées générales, construction de l’outil syndical, contrôle des mandats, animation du rapport de force et de la grève, information auprès du personnel, éthique syndicale, égalité hommes-femmes, partage des richesses, éveil du sens critique et de l’émancipation individuelle et collective… Notre conception de la négociation collective repose avant tout sur le débat. La formation syndicale assurée par notre centre de formation et nos militant-e-s est une richesse pour la construction de Solidaires, son renforcement et la diffusion de nos idées, afin de poser les bases d’une société plus juste.
Quelque soit le déroulement et l’issue d’une négociation, que l’on décide ou non de signer un accord, il est indispensable de communiquer avec les salarié-e-s tout au long des débats, de rappeler nos valeurs et d’expliquer le choix final.
_ Construire le rapport de force

Discuter de la négociation collective ne peut être une finalité en tant que telle ; c’est par le renforcement du syndicalisme et en particulier celui que nous défendons, de transformation sociale, que nous pourrons construire le progrès social. Dans l’action, avec les salarié-e-s et les chômeurs/euses, la négociation collective prend une autre forme, réfléchie, décidée, et déterminée pour défendre nos intérêts de classe. Finalement, la négociation collective peut-être vécue sous plusieurs angles, mais reste l’expression des rapports de force dans la société.

Note réalisée par le secrétariat national de l’Union syndicale Solidaires
Composition de la délégation Solidaires auditionnée :
Julien Gonthier (Secrétariat national) ; Laurent Lacoste (industrie).

29 août 2015 11:31 Publié par