Accord « Compétitivité des entreprises et sécurisation de l’emploi » : l’analyse de l’Union syndicale Solidaires

L’accord « Compétitivité des entreprises et sécurisation de l’emploi » signé entre le MEDEF, la CFDT, la CFTC, et la CGC, et rejeté par la CGT et FO, est de fait minoritaire. Rappelons que l’Union syndicale Solidaires n’était pas invitée à ces négociations…Pourtant, le gouvernement veut que l’accord soit retranscrit tel quel. Un projet de loi sera discuté en Conseil des ministres la première semaine de mars et débattu courant avril, avec une seule navette, par les deux assemblées. Solidaires a la volonté d’agir pour créer les conditions d’une mobilisation la plus large contre cet accord en diffusant son analyse, un argumentaire critique, en proposant des réunions unitaires avec les syndicats opposés à l’accord (CGT, FO, FSU, Syndicat des avocats de France, Syndicat de la magistrature) ainsi qu’un travail avec les associations de chômeurs/chômeuses, avec Attac, Copernic et toutes les forces sociales qui ont la volonté d’empêcher cette régression sociale majeure.

Au niveau national, Solidaires envoie dès maintenant un courrier aux syndicats non signataires et s’adressera aux député-es et sénateurs/sénatrices.

Un modèle de motion pour les élus-es CE sera rédigé pour proposer des prises de positions unitaires dans les entreprises.

Une maquette de tract national accompagne cette note…

Tout ce matériel doit permettre à toutes les équipes de Solidaires de mener une large campagne de mobilisation.

Face aux régressions sociales majeures que comportent cet accord, Solidaires doit mettre toutes ses forces dans cette bataille !

Cette première note fait le point sur les principales dispositions.

Comme sous le précédent gouvernement, le MEDEF a gagné sur quasiment toute la ligne avec une plus grande libéralisation des licenciements, une hyperflexibilité, et un recul des droits…

des salariés-es et de leurs représentant-es. Même les quelques concessions patronales sont assorties de contreparties en sa faveur. C’est une remise en cause de la hiérarchie des normes et du principe de faveur (qui prévoient qu’un accord ne peut qu’améliorer la convention collective ou le Code du travail), ce qui garantissait encore une certaine protection des salariés-es.

 

1/ Accord maintien de l’emploi (article 18)

Il s’agit de généraliser, en cas de baisse d’activité, la possibilité par accord majoritaire des organisations syndicales, entreprise par entreprise, de moduler, d’augmenter le temps de travail et/ou de baisser les salaires sur une période de deux ans.

L’engagement de maintenir l’emploi pour une durée égale à l’accord est aussitôt contredit dans l’annexe 18 (article 10) qui stipule que l’employeur peut déroger à cet engagement au cas où la situation économique se détériore.

Comme l’a montré l’expérience de Continental à Amiens, les sacrifices des salarié-es se traduiront au final par des licenciements. En cas de refus du/de la salarié-e des mesures prévues par l’accord, la rupture de son contrat de travail qui en résulte est un licenciement économique non contestable car l’accord majoritaire lui confère une cause réelle et sérieuse.

L’employeur se voit ainsi dégagé de toutes obligations légales et conventionnelles liées au licenciement économique (notamment le reclassement).

Concernant la soit-disante contrepartie en terme de restriction des dividendes versés aux actionnaires, qui peut croire qu’elle sera effective ?! Quant à la clause de « retour à meilleure fortune », évoquée à l’article 11 de l’annexe 18, qui permet en théorie de revenir sur l’accord d’entreprise, seuls les employeurs auront le pouvoir de l’apprécier…

2/ Licenciement collectif et Plan de sauvegarde l’emploi /PSE (Articles 20, 21, 23)

De la même manière, dans le cadre d’un accord majoritaire ou d’une homologation administrative par la Direccte ( Direction régionale du travail) faute d’accord, les employeurs seront exonérés des obligations légales et conventionnelles liées au licenciement économique.

Dans les entreprises de moins de 50 salarié-es, la procédure des licenciements de 10 salarié-es ou plus peut déroger aux dispositions du Code du travail concernant la consultation du CE grâce à des délais préfixés non susceptibles de suspension ou de dépassement (2 mois jusqu’à 99 salarié-es, 3 mois de 100 à 249 salarié-es, 4 mois au-delà).

Idem pour le délai des actions en contestation par les salarié-es qui sont considérablement raccourcis : 12 mois après la notification du licenciement. Quant à la Direccte, elle aura 21 jours pour se prononcer. L’intervention de la Direccte n’est en aucun cas une garantie pour les salarié-es. Pour l’ordre des licenciements, à défaut d’accord de branche ou d’entreprise, l’employeur pourra privilégier le critère de la compétence professionnelle, critère totalement subjectif, sans tenir compte de la situation personnelle des salarié-es. Seule la durée des congés de reclassement se voit légèrement améliorée, passant à 12 mois au lieu de 9.

3 / Mobilité interne (Article 15)

Les employeurs seront une nouvelle fois exonérés des obligations légales et conventionnelles attachées au licenciement économique puisque tout refus du/de la salarié-e d’une clause de mobilité prévue sera sanctionné par un licenciement pour motif personnel.

Jusqu’à présent, c’était le juge qui appréciait le caractère de modification principale de la clause du contrat de travail : dorénavant ce serait une négociation qui délimiterait ce caractère. On peut s’inquiéter de l’absence de limites dans les modalités de la mobilité forcée (nombre de kilomètres, temps de transport) lorsqu’il n’y a pas d’accord : avec l’impossibilité de recours au juge pour apprécier la modification du contrat de travail, l’employeur aura les mains libres…

4/ Les procédures de contentieux judiciaires (articles 25, 26) Pour la contestation des licenciements au tribunal de prud’hommes, le texte privilégie le recours au Bureau de conciliation où sera négociée l’indemnité forfaitaire versée au salarié avec un plancher de 2 mois de salaire et un plafond de 14 mois, selon l’ancienneté.

A défaut de conciliation, l’affaire est portée devant le Bureau de jugement. Les signataires prennent la responsabilité de se limiter à la procédure de conciliation, ce qui répond aux exigences du patronat qui ne supporte pas que 71 % des jugements prudhommaux soient favorables aux salarié-es.

Le délai de prescription du recours devant les juridictions en contestation de rupture du contrat de travail est ramené à 24 mois, il était auparavant de cinq ans. Le délai en cas d’action en paiement de salaire est ramené de cinq à trois ans.

5/ Les CDD et les contrats travail intermittents (articles 4, 22) L’accord préconise l’augmentation des cotisations patronales d’assurance chômage de 7 % pour les CDD de moins d’un mois et de 5,5 % pour les CDD de 1 à 3 mois.

Les CDD d’usage (hôtellerie, centres de loisirs, instituts de sondage…) de moins de trois mois bénéficieront d’un taux réduit à 4,5 %.

Les CDD conclus pour remplacement d’un salarié absent et les contrats saisonniers sont exclus. Ces derniers sont souvent d’1 mois seulement et surtout ils ne donnent pas lieu à la prime de précarité de 10 %.

La majoration ne sera pas non plus appliquée lorsqu’un CDI fera suite au CDD.

Par ailleurs, les agences d’intérim n’étant pas concernées, la précarité « intérimaire » va se développer. Le MEDEF a aussitôt exigé en contrepartie l’exonération des cotisations patronales pendant trois mois au-delà de la période d’essai pout toute embauche en CDI d’un jeune de moins de 26 ans. Ces exonérations s’ajoutent à celles déjà prévues dans les contrats de génération : c’est tout bénéfice pour le patronat ! Rappelons que les CDD de moins d’un mois étaient illégaux dans le passé et que l’idée d’un quota maximum de CDD (par exemple de l’ordre de 5%), a été rejetée. Au final, ce n’est que le quart des contrats courts conclus chaque année qui sera taxé. Cela représente 110 millions d’euros à la charge du patronat.

Mais au bout du compte, ce dispositif se traduira par un solde positif de 40 millions en faveur du patronat puisque les exonérations pour le CDI jeunes sont estimées à 150 millions de cotisations (représentant autant de recettes perdues pour l’assurance-chômage).

Le contrat de travail intermittent sera autorisé pour les entreprises de moins de 50 salarié-es (dans trois branches précisées dans les annexes de l’accord), alors qu’il était jusqu’à présent limité aux seuls métiers du spectacle. Le temps de travail est annualisé et librement fixé par l’employeur. C’est encore une mesure qui va aggraver la précarité.

6/ Le temps partiel (article 11)

Plus de 80 % des salariés-e à temps partiel sont des femmes. Le strict encadrement de celui-ci, sa limitation et le retour au contrat de travail à temps complet comme norme, auraient permis de faire reculer les inégalités professionnelles et salariales entre les femmes et les hommes. Or, l’accord se contente de renvoyer à des négociations de branche en donnant seulement quelques lignes directrices. Il fixe la durée minimale de temps de travail à 24h par semaine (20h précédemment) mais l’accompagne de dérogations qui rendront cette limite inefficace dans les faits…

Il prévoit une majoration de 10 % des heures complémentaires, dès la première heure et jusqu’à ce que leur nombre atteigne le dixième de la durée prévue au contrat de travail. C’est un léger mieux par rapport à la loi qui ne prévoit actuellement qu’une majoration de 25 % des heures complémentaires comprises entre le dizième et le tiers de la durée du contrat. L’accord ajoute une mesure, auparavant rejetée par le juge ou l’inspection du travail, dite des avenants temporaires ou complément d’heures. Les employeurs pourront aisément faire pression pour que les salarié-es acceptent des avenants augmentant temporairement leur temps de travail. L’objectif de l’employeur est de se dégager des limites fixées par la loi sur les heures complémentaires et leur paiement, et d’accroître la flexibilité du temps partiel.

7/ Mobilité volontaire sécurisée (article 7)

Ce droit à une période de mobilité volontaire dans une autre entreprise sera autorisé dans les entreprises de plus de 300 salarié-es et pour ceux/celles ayant deux ans d’ancienneté. Il faut l’accord de l’employeur et un avenant au contrat de travail. Le/la salarié-e ne peut revenir dans son entreprise d’origine avant la fin de la période fixée dans l’avenant, sauf commun accord des parties. Si le/la salarié-e ne souhaite pas revenir dans son entreprise d’origine, le contrat de travail est rompu et c’est assimilé à une démission : cela permet ainsi à l’entreprise de se dégager des obligations légales et conventionnelles attachées au licenciement économique et rien n’est précisé sur les droits maintenus ou non (ancienneté, salaire, qualification) des salarié-es restant dans l’entreprise d’accueil. L’exemple des ruptures conventionnelles qui sont souvent des licenciements déguisés montre à quel point le patronat sait détourner des mesures de leur objectif. Gageons qu’avec ce dispositif, il en sera de même…

8/ Les droits rechargeables à l’assurance chômage (article 3)

Ce sont les prochaines négociations UNEDIC qui transposeront les directives de l’accord. Les droits rechargeables consistent à garder le reliquat des allocations chômage non utilisées et à l’ajouter aux futures allocations en cas de nouvelle perte d’emploi. Le financement de cette mesure est évalué à 675 millions d’euros mais l’accord précise que les comptes de l’UNEDIC doivent être « équilibrés ». En clair, pour financer ces droits rechargeables, le MEDEF compte bien imposer une baisse générale des droits actuels des chômeurs/ chômeuses (avec la dégressivité des allocations par exemple)… Pour certain-es chômeurs/chômeuses bénéficiant d’un contrat de sécurisation professionnel (CSP) à la suite d’un licenciement économique, avec un accompagnement renforcé par Pôle Emploi, une prime de 1000 euros leur sera attribuée. Ils doivent pour cela être au chômage depuis au moins six mois, suivre une formation et avoir épuisé leurs allocations avant la fin de la formation. Sans entrer dans les détails, la pseudo-aide au logement pour les primo-entrants sur le marché du travail et les salarié-es précaires, n’est dotée que d’une enveloppe globale dérisoire face aux besoins en la matière.

9/ La généralisation de la complémentaire santé (articles 1, 2)

Les négociations dans les branches ne commenceront qu’en avril 2013 et l’obligation de mise en place ne sera effective qu’en janvier 2016. Elles concerneraient environ 3,5 millions de personnes. Les employeurs pourront choisir les organismes prestataires dont les assurances privées qui voient là un marché juteux. Ces contrats n’assureront qu’un panier de soins minimum, loin de couvrir toutes les dépenses de santé. En réalité, cette avancée s’inscrit dans une dégradation générale des remboursements de santé. La prise en charge sera partagée à 50/50 entre employeurs et salarié-es, alors qu’auparavant la part patronale était de 57 % quand elle existait. Cette mesure, mise largement en avant par les signataires, est loin de répondre à la nécessité de refonder l’assurance maladie pour permettre à l’ensemble des salarié-es, chômeurs/chômeuses, précaires et retraité-es de pouvoir se soigner convenablement. Les salarié-es couverts par un accord collectif de couverture santé bénéficieront d’une durée de douze mois (neuf mois précédemment) de conservation de ces droits, sauf ceux et celles n’ayant pas assez d’heures pour bénéficier des allocations chômage et les démissionnaires.

10/ Les droits des Institutions representatives du personnel (articleS 12, 17)

Ce ne sont pas les sièges supplémentaires octroyés aux représentant-es des salarié-es dans les conseils d’administration ou les conseils de surveillance des grands groupes qui contrebalanceront les attaques contre les droits des CE contenues dans l’accord. La représentation des salarié-es dans les instances de direction existe déjà, y compris dans toutes les entreprises disposant d’un CE. Les représentant-es n’auront toujours pas de voix délibérative mais seulement une voix consultative. L’accord généralise l’incompatibilité des mandats d’administrateurs avec tous les autres mandats (CE, DP, CHSCT, Délégué syndical) : c’est un droit de regard problématique des entreprises sur les choix et le fonctionnement des syndicats. Sur le droit à l’expertise des CE (barème, délais, prise en charge budgétaire), l’accord entérine des reculs pour les représentant-es des salarié-es. Pour les CHSCT, en instaurant une seule expertise et une seule consultation de la « coordination » des CHSCT, c’est toute une jurisprudence qui est désavouée. La base de données unique ressemble fort à un marché de dupe : elle limite à une information/consultation unique alors que le Code du travail prévoyait la possibilité de nombreuses consultations. Les employeurs auront un délai d’un an pour la mise en oeuvre des obligations complètes liées au seuil des effectifs (soit 11 salarié-es et plus ou 50 salarié-es et plus pendant douze mois consécutifs ou non au cours des 36 derniers mois) et un délai de trois mois pour organiser les élections des DP et/ou CE liées à ce franchissement de seuil du nombre de salarié-es. Le patronat peut ainsi jouer la montre pour ne pas mettre en oeuvre les obligations liées au nouveau seuil du nombre de salarié-es. Et faudrait-il aussi que les moyens soient pris pour que ces contraintes soient mises en oeuvre réellement dans les entreprises !

23 janvier 2013 4:18 Publié par