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Formation professionnelle : le MEDEF va gagner 0.9% de la masse salariale sans aucune contrepartie !

L’Assemblée Nationale vient de terminer l’examen du projet de loi relatif, entre autres sujets, à la réforme de la formation professionnelle et à sa complète décentralisation. Le Sénat devrait l’examiner courant Février. Cette réforme transcrit dans la loi l’ANI de décembre 2013 sur la formation professionnelle dont les signataires sont la triade réformiste (CGC, CFTC, CFDT) à laquelle s’est joint FO cette fois, et le patronat (sans la CGPME).

Le compte personnel de formation y est présenté comme la clé de voute d’un nouveau système.

Ce compte permettra de cumuler au bout de 9 ans 150 heures1 de droit de tirage sur des formations qualifiantes figurant sur des listes établies paritairement soit au niveau national, soit au niveau régional. On se doute déjà que ce n’est pas la plus grande liberté qui va ainsi s’offrir aux candidats stagiaires.

L’alimentation, c’est le mot employé dans la loi, de 20 heures par an les 6 premières années puis de 10 h pour les 3 années suivantes est liée au travail salarié. Il y a donc un plafond de 150 h. Sapin pour vendre sa réforme parle de plancher

et d’effet de levier faisant miroiter l’abondement du compte par les financeurs (OPCA, Régions, PE, etc). Mais le vrai compte universel, non entaché de son origine patronale, c’est la nation garantissant à tous une éducation permanente.compression

Ces formations pourront être suivies soit pendant le temps de travail mais avec l’accord de l’employeur, soit en dehors du temps de travail : mais qui pourra ainsi prendre sur ses congés 150 heures de formation ? Il faudra déjà pouvoir obtenir de la part de l’employeur cette période de congés ! Et donc, c’est le point essentiel, un salarié se formera en dehors de son temps de travail pour le profit de son entreprise. Que devient la durée annuelle du travail ?

Le compte d’un salarié est transférable d’une entreprise à l’autre ou d’une entreprise à Pôle Emploi. Sous cet angle est ressuscité en quelque sorte le livret-ouvrier, avec ses tampons, traçabilité qui permettra de séparer le bon grain de l’ivraie, les formés, les formables et les réformables …Personne n’échappera au compte…personnel de formation. Et si quelqu’un n’en voulait pas ?

Les demandeurs d’emplois pourront utiliser sans autorisation de Pôle Emploi « leurs » 150 heures (s’ils les ont acquises avant d’être au chômage) pour suivre une formation qualifiante. Quelle qualification obtient-on en 150 heures ? Bien sûr le projet de loi prévoit des abondements complémentaires par des financeurs (Région, PE, etc) pour pouvoir suivre des formations plus longues. Mais avec l’autorisation de Pôle Emploi et pour certains métiers.

Pour les seules entreprises de 50 salariés, un abondement–sanction de 100 heures de formation interviendra lorsqu’au bout de 6 années de présence continue un salarié n’aura pas bénéficié des entretiens professionnels prévus et de deux mesures parmi les trois suivantes : action de formation, progression salariale ou professionnelle, élément de certification, entretien professionnel. On voit à l’imprécision des termes (Qu’est qu’une action de formation ? Qu’est-ce une progression salariale ? Qu’est-ce qu’un élément de certification) que les acrobaties permettront d’échapper à la sanction.

C’est un droit virtuel dont le financement n’a pas été prévu. Près de 22 Millions de salariés sont actuellement concernés. Si chaque salarié veut en bénéficier, il faut financer de l’ordre de 300 Millions d’heures par an et donc trouver 3 Milliards € annuels, en prenant un coût moyen de l’heure de formation de 10 €. Si toutes les formations se déroulent en dehors du temps de travail. Au moins 3 fois plus si elles ont lieu pendant le temps de travail…mais il n’est prévu qu’au plus 1 Milliard. Sans compter les 5 millions de chômeurs Mais pour eux un financement supplémentaire de 300 Millions € aurait été trouvé !

Les 0.2% de masse salariale que les entreprises pourront consacrer (par accord) au financement du compte personnel de formation représentent, si on fait une comptabilité en heures, 3 heures et 38 minutes (0.2% des 1820 heures payées dans l’année). On est très loin de pouvoir financer pour un salarié donné 20 heures de formation par an sur le temps de travail.

Ces calculs suffisent à montrer que ce « nouveau droit » – comme le DIF – sera largement ineffectif et utilisé principalement par les plus favorisés.

Et d’un autre côté, l’obligation de consacrer 0.9% de la masse salariale dans les entreprises de plus de 20 salariés disparaît. Les budgets de formation dans les entreprises vont diminuer et être réservés à la formation des salariés dont le retour sur investissement sera le plus élevé…Les autres attendront le chômage ! Qui verra ainsi le nombre de postulants à la formation augmenter !

La loi est donc faite une nouvelle fois pour abaisser le coût du travail. Victoire pour le MEDEF sur tous les tableaux. Plus d’obligation de payer ou de former. Et l’obligation de maintenir la capacité à occuper un travail (CT art L6321-1), entrée en vigueur en 2008 après les jurisprudences de la cour de cassation, est plus que contrebalancée par le droit-devoir personnel de formation de chaque salarié.

C’est la même logique à l’œuvre dans les notions de sécurisation des parcours professionnels, de formation tout au long de la vie, celle du renvoi au salarié  pour la responsabilité de son employabilité et de son emploi…; « Si tu es au chômage, camarade, c’est de ta faute. Tu n’as pas bien su gérer ta petite entreprise, ton parcours professionnel. »

En oubliant que la substance du salariat, c’est la subordination.

La notion même de compte personnel de formation est perverse à double titre : elle fait croire à l’existence d’une personne autonome et de même poids en face de l’entreprise à laquelle le salarié est en réalité subordonné ; elle fait naître, en la dénaturant, la personne de la seule activité rémunérée. La notion de personne mérite plus d’égards.

Dans l’étude d’impact du projet de loi, le gouvernement rappelle les disparités dont souffre le système actuel de la formation professionnelle :

  • Plus faible accès à la formation pour les salariés des petites entreprises (versus plus fort pour les salariés des grandes entreprises)
  • Plus faible accès à la formation pour les salariés les moins qualifiés (versus…)
  • Plus faible accès à la formation pour les femmes (versus…)
  • Plus faible accès à la formation pour les demandeurs d’emplois (versus..)

compte formation

 Quelle disparité la nouvelle loi va-t-elle corriger ?

 Comme le patronat, l’Etat aussi se désengage. Il poursuit son action de régionalisation de la formation professionnelle. L’égal accès de tous sur l’ensemble du  territoire à l’ensemble des formations de tous niveaux, donc un service public national, n’existera plus.

 La région devient l’échelon compétent pour les formations de tous les publics (demandeurs d’emploi, handicapés, français d’outre-mer, à l’étranger,  prisonniers…). Et la région ne garantit pas l’hébergement et la restauration des stagiaires de son territoire, ni ceux des stagiaires des autres régions.

 Autant dire que la garantie d’accès des citoyens des autres régions est purement formelle.

Pour finir la région ne garantit que l’accès gratuit à une formation permettant d’acquérir une qualification au plus de niveau IV.

Pourtant « la Nation garantit l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction, à la formation professionnelle et à la culture. L’organisation de l’enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l’Etat. » (Préambule de la Constitution de 1946)

 

1 Un amendement adopté par l’Assemblée modifierait l’alimentation : elle “se fait à hauteur de vingt-quatre heures par année de travail à temps complet jusqu’à l’acquisition d’un crédit de cent vingt heures, puis de douze heures par année de travail à temps complet, dans la limite d’un plafond total de cent cinquante heures”.

Les 150 heures seraient atteintes en 7,5 années de travail à temps complet.

12 février 2014 9:26 Publié par