“Immolation devant Pôle emploi : en tant que psychologue, je suis témoin de ce mal-être”

L’immolation d’un chômeur devant le Pôle emploi de Nantes a marqué tous les esprits. La faute à une organisation injuste et inadaptée ? Pour notre contributrice, psychologue du travail auprès des demandeurs d’emploi, cette immolation est un message fort qui ne peut rester sans réponses.

Ce qu’il s’est passé à Nantes illustre un dysfonctionnement grave à Pôle emploi. Comment peut-on demander le remboursement d’un trop-perçu à une personne qui est déjà dans une situation catastrophique ?

En tant que psychologue, je le vois à travers mon travail tous les jours : des gens sont au bout du rouleau, mais jamais au point de commettre un tel acte et rarement avec un tel degré de désespoir. J’ai déjà eu affaire à un suicide parmi mes demandeurs d’emploi. Celui-ci n’était toutefois pas lié à Pôle emploi.

Menace constante de radiation

Les chômeurs ont une menace qui plane constamment au-dessus de leur tête. On ne peut pas éditer un courrier sans qu’il mentionne le risque de se faire radier en cas d’absence. Énormément de motifs sont considérés comme non valables, sans aucune logique et sans s’adapter aux contraintes de chacun. Un parent qui doit garder son enfant malade, une voiture en panne, sont tout autant de justifications non prises en compte par Pôle emploi.

Tout cela dépend de la bonne volonté des agents. Beaucoup de directeurs n’appliquent pas cette mesure, mais elle pèse encore beaucoup trop sur les chômeurs.

Ce qui me paraît anormal c’est que le système informatisé permette l’envoi automatique de lettres de radiations avec tout ce que cela peut générer d’inégalités en fonction de qui va ou non activer la procédure. D’ailleurs, le médiateur de Pôle emploi préconise de mettre un terme à ce système de radiations : il serait temps !

Nous, psychologues, avons encore le temps de voir les personnes autant que nous le souhaitons ­– pendant une heure et parfois plus – mais ce n’est pas le cas des conseillers, qui ne doivent pas passer plus de 20 minutes avec chaque demandeur d’emploi.

Pôle emploi n’est pas une exception

Pôle emploi impose une notion d’obligation totalement incompatible avec mon métier. Le psychologue travaille sur le projet des personnes, dans une démarche de volontariat. Or, dans le cadre des “devoirs” qui sont rabâchés aux demandeurs, ceux-ci se sentent dans l’obligation de se tenir à notre disposition en toute circonstance.

Je ne peux pas parler du point de vue d’un conseiller, mais c’est un fonctionnement qui ne me convient pas et que je dénonce tous les jours. Je suis à Pôle emploi depuis presque trois ans. J’ai fait partie des nombreux psychologues qui ont été transférés de manière violente et traumatisante de l’Afpa (Association nationale pour la formation professionnelle des adultes) à Pôle emploi.

Depuis lors, on est arrivé sur cette planète à laquelle on ne comprend pas grand-chose. Tout est mis en place dans les organisations de travail pour faire le contraire de ce que l’on affiche, il n’y a selon moi aucune volonté du gouvernement pour améliorer la situation en s’attaquant aux réelles causes de dysfonctionnement.

Ce qu’il s’est passé n’est pas propre à Pôle emploi. Les organisations font aujourd’hui en sorte de généraliser les contraintes et ce drame est du même ordre que tous les suicides qui ont lieu sur les lieux de travail. C’est ce qu’il se produit hélas régulièrement dans la plupart des entreprises, mais qu’on ne voit pas. Celui de Nantes, par le moyen employé, l’immolation, envoie un message fort pour demander de faire en sorte que cela ne se renouvelle pas.

Propos recueillis par Rozenn Le Carboulec

http://leplus.nouvelobs.com/contribution/783246-immolation-devant-pole-emploi-en-tant-que-psychologue-je-suis-temoin-de-ce-mal-etre.html

15 février 2013 2:39 Publié par