Pourquoi mes bulletins de paie, je les conserve précieusement sur papier !

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Dans un message adressé aux salariés l’AFPA fait la promotion du bulletin de salaire dématérialisé. Dès la fin avril l’agence vous fait “cadeau” d’un coffre fort numérique où se trouvera votre bulletin de paie. La question vous est posée : passer au bulletin en ligne ou continuer à recevoir une fiche imprimée ? SUD FPA a enquêté sur la solution numérique. Derrière la promesse séduisante, de nombreuses questions restent en suspens. Mieux vaut réfléchir avant de s’engager …

(Mise à jour 3/05/18 14h25)
Comment continuer à recevoir son bulletin de papier imprimé par courrier ?

Le message de PeopleDoc invitant à activer son coffre fort numérique envoyé ces derniers jours aux salariés n’aborde pas la question.
Dans l’immédiat nombreux sont ceux qui cherchent encore comment renoncer au bulletin tout numérique. Le pas à pas indiquant comment faire est progressivement diffusé par messagerie.
S’il n’est pas encore à votre disposition voici les deux solutions qui s’offrent à vous :
valider votre compte PeopleDoc, puis sur le site activer le menu de gauche “Compte” pour modifier vos préférences. Sur ce nouvel écran descendre ensuite jusqu’à “Mes abonnements” et valider l’option “Papier” qui suit “choisir votre format d’abonnement” et enregistrer.
– ou bien signifier par mail à votre direction que vous souhaitez continuer à recevoir votre fiche de paie par courrier.

« Un espace de stockage hautement sécurisé de la Caisse des Dépôts et Consignations » la promesse paraît séduisante, il est dommage qu’elle ne soit pas vraiment conforme à la réalité.

Le bulletin de salaire électronique une conséquence de la loi travail

En proposant un bulletin de paie électronique rappelons que l’AFPA ne fait que mettre en application une  mesure de la loi travail. Celle-ci a modifié l’article L3243-2 (consacré au bulletin de paie) en ajoutant le paragraphe suivant :
“Sauf opposition du salarié, l’employeur peut procéder à la remise du bulletin de paie sous forme électronique, dans des conditions de nature à garantir l’intégrité, la disponibilité pendant une durée fixée par décret et la confidentialité des données ainsi que leur accessibilité dans le cadre du service associé au compte mentionné au 2° du II de l’article L. 5151-6. Un décret en Conseil d’Etat pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés détermine les modalités de cette accessibilité afin de préserver la confidentialité des données.”
Le nouveau décret comporte trois articles qui précisent son champ d’application : droit du salarié, et les obligations de l’employeur en terme durée et d’accessibilité et de garantie du service. Il indique également la possibilité qu’aura le salarié de consulter ses bulletins de paie numérique depuis le site web du CPA (compte personnel d’activité).

Données personnelles : les limites posées par la CNIL et les droits individuels des salariés

La CNIL (commission nationale informatique et liberté) dans l’avis qu’elle a rendu sur l’accessibilité des bulletins de paie via le compte personnel d’activité (CPA) « prend acte que le service de consultation des bulletins de paie […] ne pourra ni être partagé ni faire l’objet de services de la part de prestataires tiers. » et que les bulletins de paie ne sont pas stockés sur le CPA mais y sont simplement affichés lorsque le titulaire du compte en fait la demande.

En résumé, le salarié peut donc légalement s’opposer à la fourniture électronique. L’employeur doit garantir l’intégrité, la disponibilité de 50 ans et la confidentialité. Les bulletins de paie doivent être accessibles depuis la plateforme du Compte Personnel d’Activité, laquelle sera sécurisée.

L’AFPA fait de la publicité mensongère en parlant d’un service proposé par la Caisse des Dépôts et Consignations

Or le service est proposé par Peopledoc, société privée complètement indépendante de la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC). La CDC a une filiale d’archivage CDC Arkhineo qui compte plusieurs « partenaires revendeurs », parmi lesquels on trouve Peopledoc. C’est le seul lien.
Si le nom de la Caisse des Dépôts et Consignations peut a priori inspirer confiance, il n’en va pas de même de la startup Peopledoc. Qu’est ce qui assure aux salariés de l’AFPA que leurs bulletins sont en haute sécurité dans les « coffres forts » de Peopledoc ?
La lecture des conditions générales d’utilisation (CGU) du service Mypeopledoc laisse pour le moins perplexe. On trouve des phrases sibyllines telles que : «PeopleDoc fera ses meilleurs efforts afin (i) de faire en sorte de respecter les obligations suivantes et (ii) de les faire respecter par son personnel : Ne prendre aucune copie des Documents, à l’exception de celles nécessaires à l’exécution des CGU ; etc»
« Faire ses meilleurs efforts », ce n’est même pas une obligation de moyens ! Que penser de tels engagements en cas de difficultés ?

Les questions qui se posent avant de passer au tout numérique

Rien n’oblige l’AFPA à traiter avec Peopledoc, il  existe bien d’autres prestataires (voir sur le site du CPA : https://www.moncompteactivite.gouv.fr/cpa-public/mes-bulletins-de-salaire).

Avant de confier nos données personnelles, il nous faut clairement comprendre comment l’AFPA a choisi ce prestataire privé et quelle qualité de service est réellement proposée.

Pourquoi un prestaire privé tel que peopledoc ?

  • Pourquoi l’AFPA a-t-elle choisi Peopledoc un prestataire privé? La procédure d’appel d’offres de la commande publique a-t-elle été respectée ?
  • La filiale de la Caisse des Dépôts et Consignations CDC Arkhinéo a-t-elle été sollicitée ? C’est le moins que l’on puisse attendre d’un service public comme l’AFPA de s’adresser à un acteur public. Et c’est aussi notre tutelle la DGEFP qui gère le compte personnel d’activité en recourant aux filiales informatiques de la CDC… !
  • Quelle est la nature du service SaaS proposé par Peopledoc, soi-disant leader de la digitalisation RH en mode SaaS ? Quelles sont les informations transmises par l’AFPA à Peopledoc ?
  • Les CGU de Peopledoc garantissent la lisibilité des bulletins de paie. En effet, les formats de lecture peuvent évoluer et peuvent évoluer et qui sait si, dans 10 ans, les pdf n’auront pas été détrônés par un nouveau standard. Qu’en sera-t-il de la lisibilité des autres documents ?
  • Quel est le coût de ce service ? Le service de conservation des bulletins de paie est gratuit pour les salariés, dit l’AFPA. Ne serait-ce pas alors les informations des salariés qui constitueraient la monnaie d’échange? Conformément à l’adage « quand on vous propose un service numérique gratuit, ce sera vous la marchandise »

Quelle sécurité pour nos données ?

  • Agora promet que les bulletins de paie seront dématérialisés rétroactivement à partir de 1999. Qu’est ce qui garantit la conformité de ces copies aux bulletins papier ?
  • Que se passe-t-il en cas d’erreur ou contestation de bulletin ? Comment le bulletin rectifié vient remplacer et annuler le premier ? Lequel fait foi ?
  • Que se passe-t-il en cas de litige entre le salarié et la direction ? Coffre-fort fermé ?
  • L’AFPA l’a-t-elle déclaré à la CNIL ?

Avec cette matière hautement sensible, on ne joue pas. Les pertes de données, sans parler des vols ni des atteintes à la vie privée, peuvent être irréparables et les conséquences pour les salariés dramatiques (retraite, litige par exemples). Les bulletins de paie sont des preuves essentielles et les salariés doivent veiller par eux-mêmes à leur protection.

Pourquoi le CCE n’a-t-il pas été consulté ?

Particulièrement, quel est l’impact sur le personnel RH de l’AFPA ?
 
Tant que la direction n’aura pas fourni des réponses sérieuses et vérifiables à ces questions, SUD FPA déconseille fortement aux salariés de l’AFPA de recourir à ce miroir aux alouettes !

22 avril 2018 6:24 Publié par