“Redéfinir la formation professionnelle pour mieux la réformer”

Article paru dans le Monde du 17 06 2013

A trois jours de la table ronde “Mobiliser pour l’emploi et la formation professionnelle” de la conférence sociale des 20 et 21 juin, qui va réunir tous les partenaires sociaux, Entreprise et Personnel (E & P) publie, mardi 18 juin, une note signée Sandra Enlart, Bernard Masingue et Jean-Marie Luttringer, qui fait la synthèse d’un mois d’échanges entre les responsables des ressources humaines de grandes entreprises sur leurs attentes à l’égard de la réforme de la formation professionnelle.

Cette association, qui regroupe plus de 110 entreprises, propose de redéfinir le périmètre de la formation et de redistribuer les responsabilités et les financements en fonction de sa finalité, selon qu’elle bénéficie à l’entreprise, au salarié ou à l’intérêt général.

Sur les 32 milliards d’euros consacrés à la formation professionnelle, 14 milliards sont pilotés par les entreprises. “Mais cette évaluation ne reflète pas la réalité de l’effort de formation réalisé par les entreprises”, explique M. Masingue, coauteur de la note.

 

Tout n’est pas pris en compte. “La seule comptabilité du nombre de stages réalisés à travers le 2483 et la déclaration des organismes de formation en donne une idée fausse, car l’essentiel de la formation se fait au fil de l’eau, en situation de travail. La polyvalence des TPE-PME est bien plus formatrice que trois jours passés en stage”, dit-il.

LE PÉRIMÈTRE DE LA FORMATION

La première proposition de l’association est donc de redéfinir le périmètre de la formation afin de “mieux prendre en compte l’effort réel des entreprises”. Puis de les aider à “développer leurs investissements contre les risques d’inemployabilité des salariés”.

Il faut “considérer l’action de formation comme un tout global : son ingénierie, son déroulement et son évaluation”, note E & P. Ce qui reviendrait à requalifier une partie de l’action ressources humaines – du diagnostic de besoins de formation jusqu’à l’évaluation de son efficacité en passant par la formation “au fil de l’eau” – en dépenses de formation.

Mais avant d’aborder la question du financement, sur laquelle se brisent depuis des années tous les consensus pour réformer la formation, l’originalité des propositions d’E & P est de distinguer, dans sa deuxième recommandation, l’employabilité externe à l’entreprise – celle qui permet au salarié de rebondir sur le marché de l’emploi lors d’une fermeture de site par exemple – de l’employabilité interne, comme l’adaptation à un nouveau logiciel.

E & P postule que l’employabilité externe relève de l’intérêt général plus que de celui de l’entreprise. L’association remet ainsi en question la responsabilité unique de l’employeur pour maintenir les capacités des salariés à occuper un emploi. “Dans les faits, l’investissement dans la formation professionnelle pour l’employabilité est insuffisant, explique M. Masingue. Mais les entreprises n’ont pas la lisibilité nécessaire pour garantir l’employabilité externe des salariés.”

Autrement dit, si l’entreprise est efficace sur l’adaptation aux postes de travail, elle ne peut pas l’être, à elle seule, lorsqu’il s’agit de maintenir l’employabilité au regard de l’évolution de l’emploi. “Il faut donc réfléchir à un élargissement de la palette d’acteurs qui y participent”, dit-il.

INTÉRÊT GÉNÉRAL

E & P préconise par conséquent de distinguer trois modes de financement en fonction de l’objectif de la formation : en ce qui concerne la compétitivité de l’entreprise, les formations devraient être financées par des crédits d’impôt “en faveur de l'”investissement immatériel” “.

“Ce qui relève de l’intérêt général – apprentissage, alternance, prévention du risque d’inemployabilité – par l’impôt ou par des cotisations sociales” dans une logique de mutualisation.

Enfin, “ce qui relève d’un co-investissement en temps ou en argent par les salariés eux-mêmes”. C’est le Compte personnel de formation.

“Mais pour favoriser l’autonomie des individus, il faut les aider à se projeter, à lire l’environnement des offres, en soutenant les services de formation, les représentants du personnel, les services des collectivités qui pourront les accompagner”, affirme Mme Enlart, avant de conclure que “toute la question de cette réforme est de bâtir un équilibre entre l’initiative du salarié et la responsabilité de l’employeur”.

Anne Rodier

18 juin 2013 9:10 Publié par