Promotion 16-18…Intervention de SUD FPA au CSEC du 18/11/2020

Sans revenir à ses orientations stratégiques, sans déterminer si l’opération relève de la formation, de l’insertion des personnes les plus éloignées de l’emploi, de l’orientation, sans consulter au préalable ses instances, conseil d’administration et comité central, sans vraiment donner un autre sens à l’action que celui de l’augmentation du chiffre d’affaires, la direction de l’AFPA a proposé à l’Etat, dans le cadre de l’obligation de formation des jeunes de 16 à 18 ans, de mettre en œuvre un dispositif, Promo 16-18, dont nous interrogeons la méthode et le contenu.

Pour que cela soit clair, nos critiques ne concernent pas le fait que l’AFPA mette en œuvre un dispositif accueillant un public de jeunes de moins de 18 ans. L’AFPA l’a déjà fait, avec succès. Pour rappel, même si les difficultés n’étaient pas de même nature à l’époque, 40 % des stagiaires de l’AFPA avaient moins de 18 ans en 1966. Rappelons-nous aussi que nous avions, pour construire des dispositifs alternatifs, l’Institut National d’Orientation et d’Insertion Professionnelle, passé par pertes et profits au moment du chambardement pathogène de 2010.

Ce qui est frappant dans les différents textes nationaux ou régionaux, entre autres la note technique du 17 juin 2020, intitulée « Obligation de formation 16-18 ans – Voyages d’Avenir ou Voyage ta vie »  et qui est en quelque sorte la philosophie du dispositif, c’est justement l’absence de référence au passé, illustrant ainsi l’un des principaux maux du monde du travail actuel, l’ignorance de cette dimension essentielle du travail qu’est la dimension « transpersonnelle », c’est-à-dire l’étayage sur l’héritage et la transmission, dans la mesure où l’innovation repose toujours sur les travaux des prédécesseurs.

Aussi, pour que vous sachiez d’où nous parlons, nous allons faire retour à trois expériences de valeur nationale, dans lesquelles les professionnels de l’AFPA ont été engagés pendant des années. Et certainement que certains ici présents peuvent en témoigner.

Première expérience, de 1968 à la fin des années 80, les Préparatoires Jeunes Demandeurs d’Emploi orientées sur des réalisations et d’une durée de 4 mois, soit une vingtaine d’années d’une expérience qui a inspiré les « stages de préinsertion » et les « préparatoires polyvalentes ».

Quelques citations tirées du livre sorti pour le cinquantenaire de l’AFPA :

« La commande de l’Etat à l’AFPA en 1968 : insérer les jeunes dans le monde du travail.

(…) deux groupes de 16 (…) quatre enseignants à raison d’un pour l’enseignement professionnel, de deux moniteurs-animateurs et d’un moniteur d’éducation physique. Des psychologues du travail (…) suivront de très près le déroulement (…) pour permettre l’orientation (…)

Une pédagogie (…) souple est (…) définie pour amener le stagiaire adolescent à plus de maturité, le conduire (…) à (…) mieux se situer socialement et professionnellement, connaître ses capacités, les possibilités du marché de l’emploi et les divers moyens de formation ou d’intégration dans la vie active. (…) options pédagogiques : (…) élaborer l’enseignement sur des centres d’intérêt concrets, en relation avec l’aspect professionnel.

(…) par semaine : (…) 12 heures de travaux pratiques (orientés sur des réalisations (…), information sur les métiers, technologie professionnelle), (…) 3 soirées culturelles (…)

L’initiation professionnelle se réalise dans un enseignement essentiellement pratique (réalisation d’objets utiles) (…). Elle sert de support à l’enseignement général. Les moniteurs animateurs sont laissés libres du choix des méthodes : activités manuelles, recherche-documentation, exposés, enquêtes, visites, jeux éducatifs, sport, travaux en groupe, en sous-groupes (…)

Le moniteur professionnel, responsable des travaux pratiques, est le coordinateur de l’équipe. Les deux moniteurs-animateurs (…), chacun responsable d’un groupe, sont chargés de dispenser les connaissances générales et professionnelles en les reliant aux apports fournis par les travaux pratiques, d’animer les soirées culturelles, bref, de saisir toutes les occasions de développer les facultés mentales des stagiaires pour préparer leur insertion dans le vie économique et sociale du pays. (…) l’intervention du psychologue du travail est fréquente et essentielle. Il consacre un tiers de son temps à la préformation. Au début du stage, il établit (…) le profil des groupes et des stagiaires. En cours de formation, il aide les enseignants à mieux connaître les stagiaires (…)

Ainsi se développe une pédagogie de l’action inspirée de l’éducation populaire et dans laquelle on s’efforce de porter sur la personne un nouveau regard ».

Deuxième expérience, dans les années 80-90, une dizaine de méthodes dites d’éducabilité appliquées, à partir de l’« Opération 2000 jeunes », dans des formations préparatoires de toutes natures et utilisées par un réseau de 1500 formateurs et psychologues de l’AFPA.

L’ « éducabilité » portait en réalité sur les processus cognitifs et les processus affectifs et conatifs, chaque conduite ayant une dimension affective et conative responsable du « pourquoi nous faisons les choses ? » et une dimension cognitive, « comment nous faisons les choses et dans quelle direction ? ». On était à la fois sur le champ cognitif et sur le champ affectif-conatif, non pas seulement sur les dites compétences générales.

Nous ne parlerons que de la méthode la plus médiatisée, le Programme d’Enrichissement Instrumental, qui reposait sur le tryptique suivant :

1. Dans un cadre de stages préparatoires, l’évaluation du potentiel d’apprentissage, où on essaie d’évaluer la modifiabilité de l’individu.

2. Une progression réfléchie, le programme d’enrichissement instrumental, dont la fonction est de développer cette modifiabilité.

3. Un environnement modifié en cohérence avec la méthode, pour former un environnement modifiant qui encourage cette modifiabilité.

Comme fil directeur, une médiation spécifique, à laquelle sont formés les formateurs et les psychologues, qui doit s’intéresser à trois choses : les caractéristiques de l’apprenant, les caractéristiques de la tâche et les caractéristiques de son propre rôle.

A l’origine, en Israël, par l’application du PEI pendant 2 ans, auprès d’enfants ou d’adultes, sont constatés des résultats positifs sur les apprentissages et sur certains aspects de la personnalité, tels que l’image de soi ou l’orientation vers la réussite.

Première expérimentation en France, dans des classes de Section d’Education Spécialisée en collège : les progrès des groupes sous PEI, plus importants que dans les autres groupes, se manifestent en raisonnement non verbal, spatial et numérique et les données cliniques sont le développement d’attitudes plus favorables à l’enseignement et l’investissement nouveau vis-à-vis des tâches cognitives.

Deuxième expérimentation, menée dans 8 sites de l’AFPA, sur des stages préparatoires, avec l’Université de la Sorbonne, sur un financement du Ministère de la Recherche. Les performances en raisonnement d’une manière générale se sont améliorées davantage pour les groupes sous PEI. Concernant le transfert des apprentissages, les effets positifs sont surtout vérifiés pour les tâches proches de celles qui ont servi à l’entraînement par le programme d’enrichissement instrumental. Pour ce qui concerne le maintien des effets, 6 mois après le stage, les différences en faveur des groupes sous PEI persistent. Par ailleurs, les groupes obtiennent des scores significativement plus élevés pour ce qui a trait au contrôle de l’impulsivité.

Ces travaux aboutissent finalement à la conception de la pédagogie de la médiation, où l’implication du médiateur, formateur et/ou psychologue, dans le processus d’apprentissage permet d’envisager une représentation différente de l’élève ou du stagiaire en difficulté, basée sur les potentialités à développer plus que sur les lacunes à gérer au mieux. De plus, pour faciliter le transfert des apprentissages, « apprendre à apprendre tout en apprenant » est plus efficace que de séparer l’apprentissage des contenus de formation (c’est-à-dire « apprendre ») de l’apprentissage des processus (c’est-à-dire « apprendre à apprendre ») : la pédagogie de la médiation va donc s’atteler à travailler le transfert à partir des contenus habituels de formation.

Au milieu des années 90, beaucoup de controverses au sein du réseau éducabilité et à l’encontre de ce réseau, avec des « pros » et des « antis », preuve s’il en est que la dispute intellectuelle était alors encore vivante à l’AFPA. Dans un contexte où les financeurs – pour qui l’AFPA, c’était surtout d’abord la qualification – étaient à l’époque de moins en moins commanditaires d’un investissement sur des dispositifs préparatoires.

Aujourd’hui, ne reste de cette effervescence autour de la « modifiabilité structurale » que des travaux pauvres sur les « soft skills », sans prise en compte des « hard skills », sans un véritable programme et sans conception d’environnements modifiants parce que modifiés.

Troisième expérience, des années 80 aux années 2000, la démarche territoriale à l’AFPA, qui s’est développée d’une part dans le cadre de dispositifs institutionnels et assez centralisés, sur les « pôles de conversion », et d’autre part dans le cadre d’initiatives locales, par la participation à des projets de développement territorial, au travers notamment de chantiers-école, voire de chantiers d’insertion, ce à quoi nous ferons référence ici.

La démarche correspond à une autre vision possible en économie, symbolique et en rapport avec le lien social, ancré et contextualisé, les faits nous rappelant qu’aucune circulaire ne peut régler l’insertion. Quand bien même la demande s’exprime en termes d’emploi, il s’agit d’intervenir en termes d’environnement de l’emploi, de trouver des modes d’organisation qui génèreront de l’économique, de l’emploi et du sens, la question centrale étant : comment produire de l’intérêt général sur un territoire ? Et un chantier- école ou un chantier d’insertion n’ont de sens qu’en fonction d’un projet de développement territorial local.

La démarche se différencie aussi des dispositifs d’accompagnement qui ont entre autres pour point commun de ne saisir les parcours que sous l’angle de l’individu considéré comme l’acteur de son parcours, ainsi que le suggère un slogan du genre « ma vie = mon choix », pure expression, sous couvert de bon sens, de la philosophie néolibérale du « chacun-autoentrepreneur-de-sa-vie-et-de-sa-réussite ». L’individualisation des problèmes socioéconomiques qui caractérise le traitement des problématiques d’ « emploi » entraînant une perception et une compréhension biaisées du rôle des groupes d’appartenance dans la vie des individus. Les expériences sont appréhendées sous un angle personnel qui jette un voile sur les collectifs d’appartenance, comme supports de ressources d’une part et comme espaces de contestation d’autre part. Ainsi la sociabilité des quartiers populaires, dont les sociologues ont démontré le potentiel mobilisateur face à l’effritement de la société salariale, brille par son absence dans les stratégies de sortie de crise dessinées pour les bénéficiaires : alors que le territoire, donc le collectif, est ici une dimension essentielle, on assiste paradoxalement à un mécanisme de déterritorialisation des individus, qui recouvre les difficultés qu’éprouvent les acteurs de l’Etat social à traiter les appartenances des personnes qu’ils accompagnent.

Concrètement, ces actions chantiers-école ou chantiers d’insertion, avec un ancrage territorial pas seulement en pointillé un jour de temps en temps, sur des jardins familiaux, le second œuvre ou la finition de maisons de quartier, etc., sont souvent conçues et portées par un groupement AFPA/Mission Locale et autres partenaires. Elles nécessitent la mobilisation des acteurs locaux, la mise en commun de moyens, la définition d’objectifs précis visant à articuler trajectoire individuelle et territoire de référence. Le travail sur le projet résonne à l’échelle du territoire et à l’échelle personnelle des parcours. L’environnement progressivement modifié est modifiant. Ce sont les potentialités du territoire et les leviers disponibles sur ce territoire qui permettent de changer le regard porté sur des jeunes (lorsqu’il s’agit de jeunes), lesquels ont besoin de tout un accompagnement avant de pouvoir intégrer des dispositifs de professionnalisation ou de qualification professionnelle. Où l’on constate que ce n’est que dans la mesure où un jeune au sein d’un groupe aura en paroles et en actes affirmé le « nous » de l’appartenance, qu’il pourra par la suite s’exposer aussi au groupe comme un « je ».

Fil conducteur de ces trois expériences :

◦ encore et toujours le geste professionnel quel que soit le dispositif,

◦ l’objectif de contextualisation professionnelle des apprentissages variés pour faciliter le transfert, éventuellement dans un travail à l’échelle du territoire,

◦ la constitution de véritables équipes psychopédagogiques avec des interventions de psychologue, notamment dans un cadre de co-animation ou d’orientation professionnelle pour faciliter la distanciation, la recentration et l’élaboration.

Notre analyse du dispositif Promo 16-18

L’autonomie supposée du « jeune »

Dans la note technique de juin 2020, nous sommes informés qu’il s’agira de décrocheurs, de « jeunes NEET de longue durée », « moins diplômés que la moyenne des NEET », qui « cumulent les difficultés », qu’ « une attention particulière sera portée aux jeunes les plus vulnérables », particulièrement « les publics accompagnés par les services d’Aide Sociale à l’Enfance » et « les jeunes concernés par un handicap qui nécessitent un accompagnement adapté ».

Or, dans ce dispositif de courte durée – 13 semaines plus 2 semaines de réflexion entre la phase 1 et la phase 2 – davantage que dans nombre de dispositifs de l’AFPA dédiés aux adultes, « le jeune » (présenté au singulier générique) est supposé autonome ou le devenir en quelques semaines. Ainsi, « en rejoignant le programme Voyage d’Avenir, le jeune se considère comme volontaire pour participer à la réalisation de son propre projet comme à ceux plus collectifs ». Il est question ailleurs dans la note des jeunes qui auront « préalablement choisi de réaliser ce programme dans le Village Afpa de leur lieu de résidence ou d’une région qui offre les opportunités d’emploi auquel ils se sentent voués ». On lit dans la note qu’il s’agit de « jeunes qui n’ont pas accepté ou n’ont pas été à l’aise avec le cadre scolaire » et « qui attendent un éveil de leur sens par d’autres chemins à emprunter ». Avec ce Voyage d’Avenir, le jeune est l’adolescent rimbaldien aux semelles de vent. Mais n’est-ce pas un peu hors-sol ? Ne s’avance-t’on pas un peu trop en écrivant, à propos de la phase de réflexion de 2 semaines, hors du centre et sans une médiation forte, qu’elle est « un temps libre pendant lequel chaque jeune doit accomplir quelque chose qu’il pourra présenter en phase 2 (ex : interview d’une personne inspirante) » ? Sur quelles études s’appuie-t’on, alors que les études sur les NEET concernent essentiellement les 16-25 ans et non les 16-18 ans ? A-t’on envisagé les absences à l’entrée et les départs dans les premières semaines et dans quelle proportion, sachant que les départs dans nos différents dispositifs dédiés à un public adulte, a priori plus autonome, se produisent dans ces premières semaines ?

Des ordinateurs pour les décrocheurs

Il y aura quatre ateliers individualisés sur la période de « construction » de 8 semaines : Cléa, Cléa numérique, code de la route, avenir professionnel, sur la moitié du temps, soit 2 jours ½ par semaine. Hormis la séquence consacrée à l’avenir professionnel, avec des entretiens individuels, les autres séquences devraient se dérouler via l’informatique. Compte-tenu de l’objet, plutôt théorique, et de la modalité, n’est-ce pas « un peu beaucoup », alors que l’on s’adresse à des décrocheurs (dont certains vont avoir une problématique d’illettrisme) et que l’objectif (selon la note technique) serait de prioriser les approches concrètes ?

De la certification dans un temps court

De multiples activités vont être proposées aux jeunes. Toutefois, comme pour « rentabiliser » le temps dit de construction de 8 semaines, on lit dans la plaquette de synthèse de septembre que « les jeunes auront obtenu leurs certifications CLEA socle et CLEA numérique ». Or, compte-tenu de la durée courte et du public, les collègues qui interviennent déjà sur des dispositifs tels que Déclic, Prépa Compétences ou VSI pensent que cela va poser problème.

Dans cette volonté certificatrice, les textes précisent que le jeune pourra « bénéficier d’une certification des compétences par open badges ». Il s’agit ici, si l’on a bien compris, de « soft skills », c’est-à-dire des dites compétences générales, notamment relationnelles, ni techniques ni cognitives. Ce que nous interrogeons ici, c’est l’importance que vont prendre ces dites compétences générales dans un dispositif, Promo 16-18, qui a essentiellement pour finalités l’orientation professionnelle et l’apprentissage, la manière dont elles seront évaluées, par qui et le dispositif pédagogique censé permettre l’acquisition ou l’évolution de ces compétences. Sur tout cela, nous n’avons pas d’informations.

L’ « environnement social, territorial, familial incapacitant », mais encore ?

Il s’agit d’émanciper le jeune d’un environnement dit incapacitant, mais en étant bien obligé, la première semaine, de nouer alliance avec l’environnement familial.

Un environnement incapacitant qui justifie de proposer au jeune de « vivre une expérience en dehors de son cadre habituel », de lui proposer un voyage qui « éloigne des zones de confort (lieux, parents, amis) ». En même temps, pas tant que cela incapacitant, dans la mesure où « une partie de l’offre peut être délocalisée dans les lieux de vie des personnes », « particulièrement dans les quartiers populaires de la politique de la ville ou dans des zones plus rurales », dans la mesure où il est question de la « mise en relation entre un vivier de citoyens engagés et ces jeunes sur chaque territoire ». Donc un environnement incapacitant mais quand même capacitant, ce qui est révélateur d’un certain flou. Finalement, tout s’avère ambivalent puisqu’il s’agira « que chaque acteur et chaque jeune prennent pleinement conscience que la diversité et les différences culturelles sont avant tout des sources de richesses ».

Pourquoi ne pas être parti de cette dernière conclusion pour construire la méthode, plutôt que de postuler l’incapacitation de l’environnement ? De ce postulat découle le concept d’un voyage qui éloigne géographiquement, censé être corrélé avec une décentration « pour se recentrer sur soi », conception naïve laissant à penser que l’on n’emporte pas les problèmes dans ses bagages, d’autant plus lorsque l’éloignement est très temporaire.

L’évocation du « geste », mais encore ?

La note technique parle de « prioriser les approches concrètes », de « favoriser les apprentissages par la mise en situation », précise que « cette pratique pédagogique du geste est particulièrement adaptée à des publics en décrochage ». Mais on n’a des précisions, à savoir des « ateliers pour s’initier à différentes techniques métier » que lorsqu’il est question de « Village des Initiatives pour la Jeunesse » (un ou quelques quelques centres seulement), ou lorsqu’on lit le descriptif de poste du formateur pré-insertion censé aussi animer des mises en situation de travail (mais de quoi est-il question, on n’en sait pas plus), ou lorsqu’on apprend que les mises en situation se feront exceptionnellement sur certains plateaux techniques des centres, du moins ceux qui sont conformes à la réglementation (sans d’ailleurs que la problématique de la sécurité ne soit abordée dans les textes), mais qu’au final, la plupart du temps, il s’agira seulement de présenter des métiers aux jeunes. Cela dit, comment les formateurs professionnels pourraient-ils avoir la disponibilité requise pour mettre en œuvre ces mises en situation, en sus de leur(s) groupe(s) de stagiaires. Nous vérifions d’ailleurs que dans le programme de la phase de construction, rien n’est spécifiquement prévu pour des mises en situation, hormis peut-être sur le segment des « chantiers solidaires (8 jours).

Un « travail d’équipe », mais encore ?

Nous lisons que « l’équipe sera pluridisciplinaire et compétente en matière de formation, d’orientation, d’accompagnement psycho-éducatif, d’animation de groupe ».

Il est question d’ « un cadre de confiance ouvert à toutes les possibilités d’orientation », quand les dispositifs actuels d’orientation sont plutôt des dispositifs d’aiguillage vers une offre locale/régionale. Il est écrit dans différents textes que « les jeunes peuvent découvrir le métier de scaphandrier à Lorient, restaurateur de mobilier d’art à Chartres, aménageur de sous-marins à Cherbourg, chaudronnier aéronautique à Toulouse, monteur aéro-souterrain à Saint-Etienne, conducteur de grue à Egletons, réparateur en horlogerie à Besançon », formations peu répandues et parmi celles auxquelles nos bénéficiaires actuels ont difficilement accès, pour des conditions d’aptitudes (et là on n’est pas d’abord dans les soft skills), de nature de leur motivation (Lorient c’est bien, mais ce n’est pas suffisant comme motif) ou autres conditions administrativo-régionales (rappelons que la mobilité interrégionale de nos stagiaires était d’au moins 16 % il y a plus de 15 ans et qu’elle est tombée à moins de 5 % depuis des années, avec la régionalisation). Il est écrit aussi que le dispositif est « un outil à la main des acteurs de l’orientation (missions locales notamment) qui pourraient en être les prescripteurs », mais cela ne risque-t’il pas de poser le même type de problème que celui déjà rencontré sur d’autres dispositifs de l’AFPA, en l’absence de professionnels de l’orientation au cœur même des dispositifs de l’AFPA, qui sont seulement conçus en appui à l’orientation réalisée en amont ou à l’extérieur ? En nous référant au modèle de l’orientation l’ADVP, des moniteurs éducateurs ou des conseillers en insertion peuvent sûrement travailler sur une première information et à la réalisation des étapes du projet professionnel formalisé, mais peut-être pas sur les phases centrales de l’orientation, la cristallisation en particulier la formulation des hypothèses de travail et la spécification en particulier l’évaluation des projets.

Nous lisons qu’il s’agira de « rencontrer de nouvelles personnes », de « vivre de nouvelles expériences », de « connaître une nouvelle ville », au travers d’une dizaine de thématiques : accompagnement, santé, savoirs essentiels, compétences, découverte des métiers, citoyenneté, avenir professionnel, pratique physique, culture, chantier solidaire. Mais la diversité d’activités et même d’objectifs ne risque-t’elle pas de basculer dans l’occupationnel ? Autrement dit, quel professionnel permet de parler de toutes les nouvelles expériences, ici en nombre important et sur un temps court, pour en rendre possible ou en faciliter l’appropriation, la distanciation, l’élaboration ? Autrement dit, quel professionnel permet la contextualisation au point de vue professionnel et dans un cadre d’orientation, suite à des activités de « break dance », de « natation » ou de visite de la « Cité de l’espace », comme il a pu être évoqué – sans quoi la découverte risque bien de ne pas porter ses fruits ?

Concernant le métier de moniteur éducateur, cheville ouvrière du dispositif, nous lisons dans l’arrêté du 25 avril 2006 qui définit le contexte de son intervention que « le moniteur éducateur participe à l’action éducative, à l’animation et à l’organisation de la vie quotidienne de personnes en difficulté ou en situation de handicap, pour le développement de leurs capacités de socialisation, d’autonomie, d’intégration et d’insertion, en fonction de leur histoire et de leurs possibilités psychologiques, physiologiques, affectives, cognitives, sociales et culturelles », mais qu’il ne concourt à tout cela que dans la mesure où « il élabore son intervention avec l’équipe de travail », à savoir des éducateurs spécialisés, des psychologues, des assistants de service social, des accompagnants éducatif et social, des enseignants et des médecins. Or aucun de ces professionnels, hormis le pédagogue, ne sera présent dans son équipe. Pourtant, ces professionnels aux qualifications diversifiées, avec lesquels il travaille habituellement donnent un sens, c’est-à-dire une signification et une direction, à son intervention. On peut lire toutefois dans la note qu’en l’absence d’issue au bout de 4 mois, « une construction de parcours plus étendue dans le temps nécessitant des interventions plus spécialisées (médecins, psychologues, assistants sociaux…) » sera alors envisagée, mais ce décalage dans le temps n’est-il pas problématique compte-tenu des caractéristiques du public ? Par ailleurs, ce décalage ne va pas être sans incidence sur les effectifs à suivre à l’issue, car en admettant qu’il y ait une alimentation régulière du dispositif, n’est-ce pas « téméraire », de la part de l’AFPA, de s’engager à un accompagnement prolongé sur une durée de 6 mois quand les jeunes n’auront pas de solution ?

De quel professionnel parle-t’on lorsqu’il est question de « bilan », de bilan de « cursus scolaire (détection de l’illettrisme, troubles DYS », à savoir : dysphasie, dyspraxie, dyslexie, dysorthographie, dyscalculie – ainsi que de bilan de « parcours de vie » (détection des difficultés sociales, psychologiques, addiction, violence…) » ? – soit un super-pro du bilan (pour information, sur 2 ans de formation du moniteur éducateur à l’IFTS, une trentaine d’heures, en tout et pour tout, relatives à l’organisation de la personnalité et aux troubles de la conduite – quant au conseiller en insertion, cela ne fait pas partie de sa qualification). De même, de quel professionnel parle-t’on lorsqu’il est question du « référent Afpa », dont la note précise que, pour chaque jeune, il « guidera la construction du parcours le plus adapté à son profil et à ses aspirations dans un principe de réalité en vision globale de la personne » ?

Une formation dédiée aux membres de l’équipe, mais encore ?

Est-ce suffisant et satisfaisant 14 heures de formation au dispositif pour le référent accueil, le conseiller en insertion ou l’animateur socio-éducatif ?

Est-ce suffisant et satisfaisant 70 heures de formation pour le formateur pré-insertion ou pour le moniteur éducateur ? Est-ce bien sérieux d’aborder une quinzaine de sujets en 70 heures (dont plus de la moitié prévue en formation distantielle, mais Covid 19 oblige, le confinement contraint au 100 % à distance) ? Notamment, « s’initier à l’approche réflexive à partir de sa propre pratique ». Ou surtout, « se préparer dans son centre : construire son scénario global », pour pouvoir concevoir et co-animer ensuite des ateliers, à savoir des activités pédagogiques qui poursuivent une ou plusieurs intentions pédagogiques (engagement, cohésion du groupe, confiance en soi, pouvoir d’agir, autonomie, entraide, confrontation d’idées, etc.) et chaque semaine sur un certain nombre des 10 thématiques ? Est-ce bien sérieux, dans la mesure où il va s’agir pour certains d’une découverte du monde de la formation et du monde de la formation professionnelle… même des formateurs expérimentés auront des difficultés (à titre de comparaison, dans un système moins complexe que Promo 16-18, la durée de la formation des animateurs de la Préparatoire Jeunes Demandeurs d’Emploi était de 6 semaines).

En synthèse, si nous sommes en accord avec la nécessité pour ces jeunes, de pouvoir « constituer un marqueur positif de sortie » et de changer le regard porté « en stimulant l’investissement personnel à se découvrir soi-même par la confiance mise en eux par l’équipe pédagogique », nous questionnons la méthode, les présupposés, le contenu et le professionnalisme, pour lesquels nous constatons qu’ils n’ont pas été inspirés par l’expérience de l’AFPA, qui donnait une place centrale à la dimension collective, ancrée et contextualisée. Le geste en référence à des métiers, l’éducabilité par la médiation psychopédagogique forte dans l’apprentissage, le territoire défini par son ou ses collectifs porteur d’une dynamique, traduisent une vision sociale, disons même philosophiquement socialiste, qui dépasse le schème « causal » déterministe de l’environnement incapacitant ou le schème « actantiel » simpliste de la mise en action en surfant sur de multiples activités…

Et cela ne renvoie-t’il pas, une fois encore, à des problèmes d’organisation du travail à l’AFPA ?

Dans l’organisation du travail actuelle, l’ingénierie et les ingénieurs sont malmenés, comme on peut le voir pour le dispositif Promo 16-18 :

◦ Un temps largement insuffisant pour penser les multiples aspects et construire la démarche à tous les niveaux, de l’ingénierie à la préparation par les équipes pédagogiques de ce dispositif sur le terrain, en passant par la formation des intervenants.

◦ L’impossibilité de travailler avec les structures qui possèdent déjà une expérience de la problématique, comme c’était pourtant prévu.

◦ L’impossibilité de s’approprier au sens fort du terme les écrits relatifs au décrochage et plus largement les études portant sur l’adolescence qui éclairent sur des spécificités de cette tranche d’âge.

◦ Un temps insuffisant qui s’est aussi traduit par une division du travail, qui s’est elle-même soldée par une approche morcelée.

Il manque en particulier dans la démarche proposée par l’ingénierie une colonne vertébrale forte d’accompagnement, qui doit au moins travailler sur 4 axes majeurs et qui pose la problématique du type de professionnalisme requis :

1. La verbalisation de l’ « histoire de vie » et la détection des difficultés pouvant conduire aux recours extérieurs à l’AFPA (dans tous les cas, une meilleure intégration des causes du décrochage paraît un incontournable).

2. Une démarche progressive et itérative de bilan et d’orientation, alimentée par les expériences proposées dans le dispositif (cette mise en cohérence étant indispensable à l’élaboration d’un projet de parcours).

3. Ce suivi permettrait aussi d’adapter les parcours.

4. Enfin, un suivi psychopédagogique avec les dimensions plus classiques que nous connaissions dans la prestation S3.

Ce sont des fondamentaux d’une démarche de conception et d’expérimentation sur le terrain, avec des allers-retours, pour produire un travail qui ait du sens, dont il est question ici pour l’équipe des ingénieurs qui travaillent sur Promo 16-18.

 En conséquence, le management du dispositif ne peut que prescrire la fameuse « agilité » sur le terrain. Les ateliers sont des « propositions pédagogiques modulables en fonction du profil des jeunes et des spécificités des territoires, que l’équipe pédagogique peut adapter avec ses partenaires ». Des « ateliers en fonction des possibilités locales et du contexte le plus adapté aux opportunités de l’environnement socio-économique (espace disponible, partenariats locaux, compétences spécifiques de l’équipe pédagogique et des autres acteurs du centre) ».

Promo 16-18 est un dispositif qui, faisant fi du passé, est conçu en « mode projet », « pas de modèle type », le travail devant « être fait à la maille régionale ». D’où un « cadrage des besoins RH toujours en cours de réalisation », variable selon les régions et qui sera fluctuant dans le temps. Pas de modèle type dans un système complexe nécessitant un partenariat important, pour des interventions en journée dans le parcours et pour des activités d’animation en soirée et le week end. Comment l’organisation a-t’elle été pensée, du point de vue du réel du travail, pour gérer des flux importants, en particulier dans des centres où les objectifs sont de 400 ou 500 bénéficiaires et plus dans l’année, gérer de très nombreux ateliers et suivre de nombreux jeunes au-delà de 4 mois ? Il va donc s’agir de gérer les dites « ressources humaines », parmi d’autres ressources, dans un propos général sur l’ « agilité » requise pour chacun.  Si les objectifs de Promo 16-18 ont été décidés d’en haut (sans qu’on ait de précisions), il est laissé toute latitude d’exécution aux subordonnés qui doivent se débrouiller. C’est donc un management par délégation de responsabilité qui permet à la direction, tout en gardant le contrôle, de ne pas porter seule la responsabilité des échecs éventuels, dans un contexte d’équipes vites recrutées et peu professionnalisées sur ce dispositif. De l’autonomie sans autonomie sur les objectifs et le projet insuffisamment pensés. S’en suit également au plan organisationnel la création d’une encore nouvelle ligne au sein de l’AFPA, multipliant encore des petits pouvoirs, des départements, des managers…

Bien loin de la transformation de l’organisation actuelle en une organisation du travail qualifiante.

26 novembre 2020 4:25 Publié par